Penmarc'h
Penmarc'h
Le phare d'Eckmuhl à Penmarc'h
Le phare d'Eckmuhl à Penmarc'h
Macareux moine
Macareux moine
Pie noire bretonne
Pie noire bretonne
Apéro breton
Apéro breton
Crêpe de blé noir
Crêpe de blé noir
Hortensias bleus
Hortensias bleus
Petite chapelle à Loctudy
Petite chapelle à Loctudy

Bigoudènes bavardant sur les rochers

En attendant la marée haute

Phare de Loctudy

Célèbre pâté HENAFF de Pouldreuzic

Plage de l'Ile-Tudy

Les 3 menhirs de Kerfland à Plomeur

Pour rêvasser devant la mer à Penmarc'h

Plage de Beg Meil

La tortue - Plage des sables blancs à Larvor-Loctudy

Jour de tempête à Guilvinec

Château d'eau à Treffiagat

Le Pardon à Sainte- Anne-La-Palud

La pointe du Van à Cléden-Cap-Sizun

Le Steir à Lesconil

Goeland argenté

Eglise S-Ronan à Locronan

Vestige de lavoir sur la grève à Lesconil

Champ de tulipes à Plomeur

Viaduc de Morlaix

Rochers en Forêt d'Huelgoat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      NE NOUS OUBLIE PAS (Nouvelle)

 

   Le vieil homme avait encore du temps devant lui. Son rendez-vous n’avait lieu qu’à quatorze heures trente, et il était à peine onze heures. Il envisageait de déjeuner à quelques kilomètres de là, dans un restaurant recommandé par l’Office de Tourisme. D’ici là, il pouvait tranquillement se promener autour du port et l’avant-port en admirant les bateaux amarrés à marée haute le long des quais. Il suivit du regard le fascinant ballet de deux goélands argentés en quête de nourriture, qui virevoltaient en poussant des cris stridents. Au loin, sur la mer, un gros nuage d’un blanc éblouissant semblait vouloir avaler le ciel.  En ce début de printemps, l’air était particulièrement frais. Au premier frisson,  Ilan Roth remonta le col de sa gabardine. Malgré ses soixante quinze ans et une santé délicate, il avait fait le voyage depuis le Canada, profitant des premiers rayons de soleil après un très long hiver.  Tout en flânant, il ne cessait de penser à cette lettre implorante venue de France.

 

« Cher Monsieur, pardonnez mon intrusion dans votre vie, mais je devais faire cette ultime tentative. Depuis plusieurs décennies ma pauvre mère recherche, à travers le monde, une personne chère à son cœur portant le nom d’Alain Le Rohellec. Elle a quatre vingt seize ans aujourd’hui. Toute ma vie, elle m’a parlé de ce petit garçon à qui elle avait fourni de nouveaux papiers en 1940, alors qu’elle était secrétaire de mairie. Elle ne l’a pas revu depuis la fin de la guerre. Il devait alors être âgé de sept ou huit ans. A l’issue d’une très longue enquête, j’ai la conviction que cet enfant ne vous est pas inconnu. Depuis quelques mois, ma mère  ne parle que de lui. C’est une obsession qui la taraude, au point qu’elle n’en dort plus. Sa vie ne tient plus qu’à un fil. Pouvez-vous me contacter rapidement ? Mme Isabelle Kermarec. Tel. 02 96…….. »

 

Touché et intrigué par cette missive, il avait appelé son auteur pour en savoir davantage. Mais elle n’ajouta rien d’autre, si ce n’est que sa mère souhaitait ardemment le voir avant de quitter ce monde.

Le cumulonimbus venant de la mer s’était sensiblement rapproché, virant au gris-bleu foncé.  Un vent furieux se leva, annonçant l’arrivée imminente de la pluie. Le septuagénaire pressa le pas pour rejoindre sa voiture garée sur le parking. Trop tard. Des trombes d’eau s’abattirent sur lui et les premiers coups de tonnerre se firent  entendre. Fort heureusement, sur sa droite, il aperçut un bar-restaurant qui lui parut sympathique et s’y engouffra.

La salle était tranquille. Il prit une petite table près du comptoir et commanda un café. Les quelques clients présents regardèrent avec une pointe de curiosité le nouveau venu qui se débarrassait précautionneusement de son par-dessus mouillé et l’installait sur le portemanteau, juste derrière lui. Deux hommes, sans nul doute des habitués, étaient accrochés au bar et sirotaient leur bière, tout en devisant avec le barman ainsi qu’avec une dame très âgée assise près de la baie vitrée, dont la longue chevelure d’un blanc immaculé ruisselait sur un pull-tunique rouge grenat.

Le regard d’Ilan se promena tout autour de la pièce, découvrant dans un angle une magnifique horloge d’un autre temps dont la facture lui parut familière. L’endroit n’était pas très spacieux,  mais il était tout à fait charmant et chaleureux. En face du bar trônait une immense cheminée en granite habillée d’un haut linteau en bois sculpté de motifs bretons. Les murs, en pierres apparentes jointes à la chaux, arboraient de nombreuses et splendides huiles représentant d’anciens bateaux de pêche à voile,  pour la plupart des goélettes, bisquines et cotres. Les tables rondes, parées de nappes rouges, ainsi que les chaises en fer forgé noir, donnaient du cachet et de la couleur à cet espace. Au dessus de la cheminée, trois photographies presque identiques en noir et blanc attiraient l’œil, éléments saugrenus dans cette galerie de peintures. Elles représentaient un soleil se reflétant sur la mer, à des moments différents.

L’un des deux hommes accoudés au comptoir remarqua le regard intrigué du vieil homme qui s’attardait sur le triptyque.

-      Vous comprenez maintenant pourquoi cette maison s’appelle l’Auberge des Trois Reflets ?  s’empressa-t-il de lui glisser.

-     Toutefois il faut préciser, renchérit la vieille dame, ancienne institutrice, que cet hôtel changea de nom à la fin de la seconde guerre, en l’honneur d’un grand artiste parisien qui fit ce généreux cadeau au propriétaire. Auparavant, l’endroit se nommait « La Goélette ». 

Le barman acquiesça d’un sourire.

Ilan Roth se leva et s’approcha de l’oeuvre du photographe afin d’y découvrir un nom, une signature. Mais rien, ou plutôt si, curieusement, l’inscription d’une heure accompagnée de minutes et de secondes figurait en bas à droite, tracée à l’encre noire. Ce détail insolite le mit très mal à l’aise. Il lui semblait avoir déjà vu ces créations, mais où, et quand ? Son esprit rationnel essaya de comprendre la raison de son trouble. Peut-être connaissait-il l’artiste, ou bien, comme cela lui arrivait souvent ces temps-ci, son mental lui jouait-il des tours, comme cette fois où, par méprise, il avait osé aborder une femme, persuadé de reconnaître la jeune architecte avec laquelle il avait sympathisé quelque temps auparavant lors l’un congrès.

Sans mot dire, il regagna sa table et constatant que le déluge persistait, commanda un autre café. La vieille dame en rouge l’observait du coin de l’œil, tout en bavardant avec les deux autres clients, ainsi qu’avec le jeune homme derrière le bar qui, d’après le sens des mots échangés, pouvait fort bien être son petit-fils.

Le vieil homme sortit de sa poche une montre gousset en alliage de cuivre. Cette montre, il la possédait depuis sa lointaine enfance. Un homme, lui semblait-il, lui en avait fait cadeau. Dix heures quinze. La trotteuse indiquait vingt cinq secondes. Comme sur l’une des photographies.  Quelle étrange coïncidence !

Par la baie vitrée, il apercevait, comme derrière un voile, les mâts des voiliers que le vent faisait tinter rageusement. Les éclairs zébraient un ciel devenu très sombre. Le vague à l’âme, il pensa au Québec qu’il venait de quitter, au Saint-Laurent qui, en cette saison, offrait le spectacle grandiose, presque irréel, des glaces dérivant vers l’océan. Les bernaches, ravies, faisaient leur retour dans ce décor éphémère et impressionnant de blancheur. La France ? Il n’y avait jamais sérieusement songé. Du moins pas comme une destination essentielle. Au milieu de sa rêverie, il se souvint pourtant de son oncle qui, peut avant de s’éteindre, l’avait exhorté à faire ce voyage, lui affirmant simplement, sans plus de précisions, qu’il devait beaucoup au pays breton.

Un couple entra dans le restaurant, puis un autre. Bientôt la salle se remplit. Midi. Déjà ? Ilan pensa à son proche rendez-vous de quatorze heures trente et décida de déjeuner sur place. Il s’enquit auprès du serveur de l’endroit où il pourrait se rincer les mains. La porte de l’arrière salle donnait sur un vestibule carrelé de grès. En face,  s’élevait un imposant escalier droit en chêne clair. Sur la gauche, une porte à petits carreaux orangés ouvrait sur la cuisine, de laquelle s’échappait d’appétissantes odeurs de viandes rôties et de plats mijotés. Une plaque argentée indiquait les toilettes, à droite, sous la pente de l’escalier. Non loin de là, une console en verre était installée sous une fenêtre aux rideaux blancs. Dessus, un magnifique bouquet d’hortensias bleus couronnait un broc en tôle émaillée de couleur crème, orné en son centre d’une goélette peinte en bleu ciel et cerclée d’un fin liseré marine. A la vue de cet objet ancien, le trouble ressenti un peu plus tôt  envahit le vieil homme, tel une sensation de déjà vu, mêlée d’émotions inexplicables. Il eut envie de quitter cet endroit, mais en même temps, quelque chose le retenait. Il entra dans les toilettes, fit jaillir la lumière. Un grand miroir encadré de bois blanc dominait un lavabo à l’ancienne. Il tourna le robinet  et prit une dose de savon parfumé au flacon poussoir.

Oh, cette odeur ! Une senteur de… violette ! La mémoire olfactive est celle qui résiste le plus au temps. Brusquement, Ilan fut transporté soixante dix ans en arrière. Là, autrefois, sous ce grand escalier, à la place des toilettes, se trouvait un grand placard, celui de la lingerie. Des étagères en bois soutenaient des piles de draps, de nappes en lin brodé, des serviettes nid d’abeille. De petits sachets en coton remplis de fleurs de violette, placés ça et là, parfumaient tout le linge.

Réveillés par ces effluves d’autrefois, ses souvenirs se déroulaient à présent comme dans un film. Il se souvint du jour de son arrivée, avec son père. Il ne comprenait pas pourquoi Papa et le Monsieur, qu’il ne connaissait pas, pleuraient en s’enlaçant comme des frères, ni pourquoi il devait rester dans cette maison quelque temps, en attendant le jour où Maman viendrait le chercher. Il se revit caché dans ce grand placard sous l’escalier, tremblant de peur, parfois des heures durant. Il demeurait recroquevillé sur un étroit matelas placé derrière les étagères. Une partie de la lingerie était amovible, grâce à de minuscules roues  invisibles, et on l’enfermait là, quand le danger devenait trop sérieux. Il n’était pas séquestré, les gens qui le gardaient ainsi dans le noir étaient remplis d’amour pour lui, il le savait. Il se rappela du Monsieur, Pierre-Marie Le Rohellec, un homme assez trapu qui boitait fort comme si ses hanches étaient cassées, et qui remplissait les verres de vin rouge, au bar. Ses moustaches fauves, en guidon de vélo, ressemblaient à son tire-bouchon en cep de vigne. Il n’aimait pas le voir traîner dans la salle, et si par malheur il osait s’y aventurer en pleine journée, il le renvoyait vite fait aux cuisines en lui disant que les Allemands n’aimaient pas les petits garçons. Et Dieu sait s’il en avait entendu passer, des Allemands ! Ils occupaient le bar et le restaurant de longues heures et s’avisaient même parfois d’occuper des chambres. C’était alors la grande panique, mais ces gens qui l’aimaient étaient des personnes organisées qui,  sachant faire diversion, arrivaient toujours à le cacher à temps. Plus tard, quand tout l’hôtel était endormi, et dans le plus grand silence, Anna venait lui apporter du pain doux et du lait. Elle ne prononçait pas un mot – lui non plus ne devait pas - l’embrassait affectueusement et sortait du placard en replaçant les étagères comme si de rien n’était. Puis elle refermait la porte et il se retrouvait à nouveau dans l’obscurité pour un temps infiniment long. Qu’il était difficile de se retenir de pleurer, par crainte d’être découvert !

Aux cuisines, du matin au soir, la radio fonctionnait et c’était si exquis d’écouter les voix envoûtantes de Léo Marjane, Lucienne Boyer ou Tino Rossi. L’enfant y retrouvait Léontine Le Rohellec qui s’affairait aux fourneaux.  C’était une grande femme au teint clair, un peu bougonne, qui travaillait sans relâche. Elle n’avait guère de temps pour Ilan, mais il lui arrivait, quand il disait avoir faim, de lui préparer une bonne tartine beurrée, et le laissait parfois tremper son doigt dans la pâte à gâteau breton. La jeune fille de la famille, qui aidait ses parents à tenir la pension,  était assurément la plus proche de lui. Elle le câlinait tout le temps. C’était à la fois une grande sœur et une petite mère. D’ailleurs, elle portait le même prénom que sa maman… Anna. Et comme une vraie maman, elle lui avait appris à dire le « Notre Père » avant de se coucher.  Le matin, il adorait peigner ses longs cheveux roux et lui faisait deux tresses avec application.  Très souvent, après le souper,  il la suivait jusque dans sa chambre, où elle étudiait. Des cahiers et des livres recouvraient son rudimentaire bureau en bois. Au fil du temps, grâce à l’aide d’Anna, il avait acquis la maîtrise de la lecture. Aussi, avec un plaisir extraordinaire, il avait dévoré différents ouvrages de Jules Verne et d’Alexandre Dumas. Le petit garçon n’allait pas à l’école, comme les autres enfants, d’ailleurs il n’en voyait guère, sauf ceux qu’il pouvait apercevoir à travers les rideaux et qui jouaient dans la rue à se bagarrer. Monsieur Le Rohellec avait décrété que, bien que l’enfant portât désormais le même nom que lui,  sortir était encore trop dangereux, qu’Ilan était bien trop différent avec ses cheveux noirs. Alors, il s’amusait tout seul et pour se rendre utile, il aidait souvent Anna à monter les brocs d’eau chaude pour les clients dans les chambres.

Mis à part les aubergistes, il ne voyait que peu de personnes. C’est pourquoi il était heureux lorsque la tante d’Anna, Jeannette, passait pour rapporter de sa ferme lait, beurre, œufs, légumes, viande de cochon, de mouton, et aussi poulets déplumés aux longs cous. C’était une femme très gentille. Quand c’était la saison, elle réservait pour Ilan une grosse poignée de petits pois frais, dont il était friand, ou une part de flan aux fruits de son verger. La blonde Yvonne-Aimée, une cousine d’Anna de quelques années son aînée, venait tous les dimanches après-midi. Elle travaillait pour Monsieur le maire. Cette jeune femme pétillante n’avait de cesse de taquiner le petit garçon et de le chatouiller. C’était sa manière à elle de lui manifester son affection. Un jour, pour Pâques, elle lui avait offert une poule confectionnée avec deux pompons en laine jaune, qui couvait des œufs en chocolat dans un petit panier en carton vert. La facétieuse demoiselle lui avait assuré que la poulette pondrait un œuf tous les matins. Il avait patienté des jours et des jours avant d’admettre  la supercherie. Il lui en avait voulu très longtemps. Quant à Youn, le marin, c’était le frère de  Pierre-Marie Le Rohellec. Chaque  jour, quand le temps lui permettait de sortir en mer, il apportait sa pêche pour le restaurant dans deux paniers en osier tressé. Il possédait un canot, et en plus de prendre du poisson dans ses filets, capturait aussi des crustacés dans ses casiers. Occasionnellement, il s’adonnait à la pêche à pied et ramenait en abondance palourdes, coques, couteaux, bigorneaux, ormeaux. Des ormeaux ! Ilan s’en souvint intensément. Quand la pêche avait été plus que bonne, la famille s’en réservait quelques uns. Quel régal dans l’assiette, et quel parfum ! Madame Le Rohellec les faisait cuire simplement à la poêle avec de l’ail et du persil.

Toute la maisonnée l’appelait Lannic, « petit Alain » traduit en breton. Il pensait que c’était un diminutif d’Ilan. C’était son nom désormais, qu’il devait toujours donner si jamais on le lui demandait.

Le vieil homme soupira. Tout cela c’était bien passé ici, il y a fort  longtemps. Comment avait-il pu oublier ? Un jour, à la fin de la guerre, un homme en costume était venu le chercher. Il ne voulait pas partir, il se trouvait si bien dans cette famille. Pourtant, il lui tardait tellement de revoir Papa et Maman, qui lui manquaient terriblement. Mais ils n'accompagnaient pas l’oncle Samuel. Il vécut les adieux comme un déchirement. Et il pressentait avec une intensité incommensurable le drame qui allait l’engloutir. Toute la famille s’était réunie dans le vestibule et tout le monde pleurait. L’homme au complet gris remis au père de famille, après l'avoir  longuement étreint , trois tableaux qu’il libéra de leur emballage en papier brun. C’étaient trois grandes photographies en noir et blanc.

-  Avec toute ma gratitude, que je ne pourrai jamais suffisamment vous exprimer ! dit-il, des larmes plein les yeux.

Pierre-Marie Le Rohellec posa un genou à terre pour se mettre au niveau de l’enfant. Il ôta un objet de sa poche et le déposa dans la main du garçonnet.

-          C’est un cadeau pour toi, Lannic, pour que tu ne nous oublies pas. Je tiens cette montre de mon père. Garde-la précieusement toute ta vie. Et puisque tu sais lire l’heure comme un grand, regarde et dis-moi, quelle heure est-il à présent ?

-          Il est…10 heures…15 minutes, déchiffra l’enfant sans grande difficulté.

-          Très bien ! Et vois-tu, il y a une trotteuse à six heures ! Que lis-tu mon garçon ?

-    10 heures, 15 minutes, 18 secondes…. euh...25 secondes...euh…. 27 secondes… Ca va trop vite !

 

L’oncle Samuel avait pris sa plume, et, comme pour immortaliser ce moment, inscrivait aussi vite qu’il le pouvait, sur chaque tableau, l’heure annoncée par le jeune garçon. 10 h 15 mn 18 s, 10 h 15 mn 25 s…. Puis, devant chaque inscription, en guise de signature, il prit le soin de rajouter le mot « reflet ».

Cependant, tous ces évènements, c’était trop d’émotions pour le petit Ilan qui courut se réfugier dans les bras d’Anna, et y sanglota longuement. Sa petite poitrine lui faisait si mal !

Puis ce fut le départ, la 403 grise, et l’avion pour le Canada dans lequel il ne pouvait empêcher ses larmes de couler. Sans Papa, sans Maman. Et puis le Québec. L’oncle Samuel l’éduqua avec tendresse et fermeté, s’efforçant de lui faire oublier les années tragiques de sa petite enfance.

-          Maintenant il faut aller de l’avant, garçon ! Il faut toujours aller de l’avant, disait-il, péremptoire, lorsque l’enfant se noyait dans sa tristesse.

Et la vie reprit ses droits, l’école, l’Université, une brillante carrière d’architecte, une épouse, deux enfants. Il n’entendit plus jamais prononcer le nom des Le Rohellec. Aucun souvenir ne vint jamais le tourmenter, car son subconscient avait choisi d’effacer purement et simplement les souvenirs par trop douloureux. Ce traumatisme d’enfant caché, associé à celui de la perte de ses deux parents, aurait pu anéantir le petit homme à la sensibilité extrême. Sa chance à lui, avait été de rencontrer une famille aimante, qui, nonobstant une culture différente, avait su combler ses besoins et pallier la disparition tragique de sa famille. Que sont devenues toutes ces bonnes âmes à présent ? Sûrement disparues, sinon plus que centenaires. Quel cadeau du ciel, s’il pouvait en revoir seulement une…

Soudain, une évidence s’imposa à son esprit.

-       Mais oui bien sûr, Yvonne-Aimée, l’employée de mairie, c’est elle qui me recherche depuis des dizaines d’années ! Et la lettre émane de sa fille, c’est évident !

      

Il était impatient de la retrouver cet après-midi. Que de temps perdu. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard !

 

Ilan Roth respira un grand coup. Le voile impénétrable de l’oubli venait de tomber. La vieille horloge, le triptyque, le broc en tôle émaillée, la lingerie et son parfum d’antan, tout cela avait un sens maintenant. A cet instant, un doux visage se dessina dans ses pensées, débordant de tendresse.

-          Anna ! s’écria le vieil homme.

Il courut vers la salle et rejoignit la vieille dame aux cheveux blancs. Comme autrefois, sa poitrine lui faisait mal, mais de bonheur cette fois. Il prit les mains de l’ancienne institutrice.

-          Anna ! mon Anna ! Est-ce bien toi ? Demanda-t-il le cœur battant et plein d’espoir.

-         Et bien mon petit Lannic, soupira-t-elle avec un joli sourire, enfin, tu en as mis du temps pour revenir !

 

En hommage à mon ami Aimé, mon pote.

 

                                                                     MES