L'HOMME ET LA MER
Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables!
Charles Baudelaire
BARBARA
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublies pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont mourir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
Jacques Prévert
POEME de Maria Battaglia - Extrait du recueil "d'un extrême à l'autre"
Je marche et je regarde le bleu de cette eau, si bleu
Que je voudrais m'y fondre, avec délice, avec joie.
La brise fait s'envoler des pétales de roses et moi
Je respire leur parfum enivrant, capiteux.
Voluptueusement chaud le soleil veut, heureux,
M'enlacer, m'embrasser, rayonnant, adroit,
Je crois le temps immuable et ami pour une fois ;
Il me laisse profiter de ce scintillant feu.
Toute cette tendresse est bonne et si inhabituelle
Que j'en pleure d'émotion, c'est si beau, si sensuel,
C'est un rêve, splendeur que je ne peux décrire.
Une langoureuse musique veut en une danse belle,
Entraîner mon âme seule et vite elle cherche celle
Qui l'accompagnera, envahie de désir.
Maria Battaglia
PLUIE DE REVE
J'aime entendre, le soir venu, la sublime musique
De la pluie d'hiver s'écrasant sur le toit,
Toute engourdie par son charme hypnotique,
Blottie dans la douce chaleur de mes draps.
Et par myriades de gouttes d'eau pure
Jaillissantes d'une fontaine céleste,
Perles de rêve accrochées au vent d'ouest,
L'averse bienfaisante inonde la toiture.
A l'abri dans ma petite chambre mansardée
Temple de rêverie et de paisible solitude,
Havre étrange de spleen et de bonheur mêlés,
La nuit m'emporte vers de lointaines latitudes.
Dans ce monde délicieux aux parfums d'Orient
Mon esprit voyage sur les ailes du temps.
Complice pour un soir le sommeil sait attendre :
La chanson de la pluie encore je veux l'entendre.
MES
NUIT BLANCHE
Allongée sur la dune
Le coeur déchiqueté
Je suis un loup blessé
Qui hurle à la lune.
Epoux violents et sans pitié
Horribles partenaires
J'en ai assez de votre guerre
Cette nuit je m'enfuis effrayée
J'entend la mer en transe
Avec le vent jouer mon requiem
En cet instant suprême
Elle m'invite dans sa danse
Protège-moi Sirius
La maison des dieux
Ramène-moi à la vie
Exauce tous mes voeux
Donne-moi la force des titans
Et le courage des guerriers
Pour affronter les deux tyrans
Et sans un mot les séparer
Demain renaîtra de l'oubli
comme si ce soir n'avait existé
De nouveau les pleurs les cris
Pour un temps tout sera effacé
MES
Elle n’a plus toute sa tête,
La pauvre vieille.
Sa fille aînée veille sur elle,
La caresse et s’inquiète.
Ses doigts maigres et bleuis,
Croisés sur sa jupe azurée,
Parlent de labeur et d’une vie
Ou austérité rime avec fatalité
Ses deux fils tombés à Mousterlin.
Incommensurable chagrin.
Emprise d’un époux à l’âme noire,
Etouffant à jamais ses fous espoirs.
Où sont passés ses vingt ans,
Y pense-t-elle encore parfois ?
Lorsqu’elle courait dans les champs,
Libre, insouciante, donnant de la voix ?
Sur son joli visage tout ridé,
Les lèvres fines s’agitent en silence.
Rien ne capte son regard en errance,
Pas même dans l’âtre la rouge flambée.
Elle est figée dans son fauteuil d’antan,
Et sa cruelle absence désarme.
Désemparée, emplie de larmes,
Une voix douce l’appelle : Maman ?
Il y a bien longtemps qu’elle est partie,
Loin, pour de nouvelles vendanges.
De ses blessures elle a trouvé l’oubli.
Son cœur chante et danse avec les anges.
Elle n’est plus seule dans sa folie,
Ils sont tous là, aimants, près d’elle,
Daniel, Haziel, Séhaliah et Gabriel.
Elle entend déjà leur Céleste mélodie.
MES